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DIGIT AGE ou l’âge du digital

Grâce au numérique, toutes les activités auto­ma­ti­sables seront pro­gres­si­ve­ment auto­ma­ti­sées, c’est-à-dire prises en charge par des robots ou des pro­grammes.
Libérés de l’essentiel des activités d’exécution, nous serons en partie occupés à définir les missions de ces automates, à les construire et à les faire évoluer.
Mais surtout, recentrés sur notre sin­gu­la­ri­té humaine, nous aurons l’opportunité d’investir mas­si­ve­ment notre temps dans la relation aux autres, l’innovation, la création, l’intuition, l’anticipation, toutes ces activités non auto­ma­ti­sables, dont l’intérêt est, selon les cas, leur utilité ou leur charmante futilité.
Notre habitude est d’automatiser, mais notre res­pon­sa­bi­li­té est de préparer les activités humaines de demain. Dès aujourd’hui.

Lorsque, paysans séden­taires, nous étions attachés à la terre, occupés à trouver ou à produire notre ali­men­ta­tion, nous assurions nos besoins vitaux par nous-mêmes (se nourrir, se loger, se défendre). Comme en plus, nous dis­pa­rais­sions avant 40 ans, nous n’avions pas à financer nos retraites.

Aujourd’hui, éloignés de la terre, de plus en plus urbains, la satis­fac­tion de nos besoins vitaux passe obli­ga­toi­re­ment par les autres (notre employeur, nos clients, nos rentes, les victimes de nos vols, les contri­buables et les prêteurs qui financent nos pro­tec­tions sociale et civile), ce pour une durée de vie deux fois plus longue. Pour vivre, nous avons besoin d’argent, nous avons besoin de dons ou nous avons besoin de prendre.

Ainsi, nous avons édifié notre société moderne sur un grand deal implicite : accepte de quitter la terre qui te nourrit pour tra­vailler en ville, en contre­par­tie ton travail te permettra la pro­tec­tion, le gite et le couvert, et bien plus encore. Et, en cas de problème ou lorsque tu auras fini de servir la col­lec­ti­vi­té, celle-ci pourvoira à tes besoins jusqu’au dernier de tes jours.

Notre société est une société d’interdépendances, faite d’une multitude de relations d’échange, qui sont à l’origine de la création de valeur, et donc de notre capacité col­lec­tive à assurer le grand deal implicite. Moi, comptable, je règle la course de mon chauffeur de taxi, qui a un courtier en assu­rances, qui a besoin d’un comptable, ce qui me permet d’acheter mes fruits et légumes à la supérette du coin, qui verse des coti­sa­tions sociales et des impôts, et dont les offres sont sélec­tion­nées par un chef de produit, marié à une femme avocat, qui va chez son médecin, etc.

Notre challenge collectif est le suivant : comment maintenir le deal si, sur un horizon de temps rela­ti­ve­ment court (10 à 15 ans), dans l’ensemble des centres urbains d’une planète peuplée de 8 milliards d’individus, les comp­tables, les chauf­feurs de taxi, les courtiers, les agents des services publics, les chefs de produit, les avocats et les médecins voient l’essentiel de leurs activités auto­ma­ti­sées, parce qu’elles sont répé­ti­tives et/ou modé­li­sables ? Ce pour ne prendre que quelques exemples.

Le challenge n’est pas le rem­pla­ce­ment de l’activité humaine par celle de la machine. Nous le faisons depuis (presque) toujours, depuis que nous sommes séden­taires. Le challenge, c’est que ça se passe très vite, pour tout le monde en même temps, partout, et que ça concerne une popu­la­tion bien plus nombreuse celle qui a vécu les pré­cé­dentes ®évo­lu­tions. Nous sommes à l’époque des grands embal­le­ments pla­né­taires (financier, cli­ma­tique, média­tique). Le challenge, c’est le rythme et l’échelle.

Le challenge, c’est aussi que nous sommes plus éveillés, avertis, informés, et que nous avons pris, en tout cas dans les pays occi­den­taux, l’habitude d’une certaine sérénité. Lorsqu’on est pauvre, on est quand même moins pauvre et moins en danger en France que dans la plupart des pays d’Afrique, d’Orient ou d’Asie. Le challenge, c’est la conscience du challenge.

Le challenge, c’est que comme tous les grands mou­ve­ments col­lec­tifs résultant d’une myriade de décisions indi­vi­duelles qui vont dans le même sens, parce que à un moment donné, chacun y voit un intérêt à son niveau, (krachs et bulles, urba­ni­sa­tion, glo­ba­li­sa­tion), l’automatisation s’impose à nous.

Toutes les activités auto­ma­ti­sables (pos­si­bi­li­té technique, intérêt éco­no­mique, agrément de vie) seront pro­gres­si­ve­ment auto­ma­ti­sées, c’est une certitude. En tant qu’individu, je préfère un VTC à un taxi parce que le service est d’une fluidité incom­pa­rable ; en tant qu’entreprise, j’automatise parce que je crée un avantage com­pé­ti­tif (ou parce que j’ai moins de grèves, ou parce que je trans­forme de l’opex en capex) ; en tant que col­lec­ti­vi­té publique, j’automatise parce que j’améliore le service rendu et que j’affiche ainsi une maîtrise du nombre de fonc­tion­naires (et éven­tuel­le­ment de la dépense publique).

Ce challenge est collectif parce qu’il nous concerne tous, tous ensemble et au même moment, quelle que soit notre activité.
Mais ce challenge concerne d’abord les personnes en res­pon­sa­bi­li­té, celles qui décident d’investir ou pas dans l’automatisation, qui choi­sissent les sujets, le rythme d’investissement et les priorités, et qui choi­sissent, qui du comptable ou du chef de produit, de l’avocat ou du médecin, sera d’abord libéré de son activité récur­rente, répé­ti­tive, modé­li­sable, robo­ti­sable.

Il y a une exigence de res­pon­sa­bi­li­té, qui est d’imaginer, de proposer et de construire en parallèle de nouvelles activités, de nouveaux services, qui appel­le­ront de nouvelles com­pé­tences, de nouveaux métiers humains, d’autres types de liens et d’interdépendances, et seront à leur tour créa­trices de valeur éco­no­mique et sociétale.
Être res­pon­sable, c’est être capable de répondre au challenge humain du Digit Age, c’est recon­naître une oppor­tu­ni­té pour nous grandir col­lec­ti­ve­ment, nous élever, nous désa­lié­ner, tant il faut recon­naître que les 100 dernières années ont déshu­ma­ni­sé le travail (du travail à la chaîne aux e‑mails à la chaîne).
Nous avons fait des hommes-machines. Déployons les machines et rendons l’humain à l’homme.

Si cette exigence est satis­faite, le Digit Age sera agréable, rému­né­ra­teur, stimulant, pour les opé­ra­teurs sophis­ti­qués que nous sommes, pour les oisifs assistés que nous ne serons pas, et pour les paysans que nous étions.

Jean-Chris­tophe Davy, associé fondateur de Actumen partners

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